
Pour célébrer le réveillon de la St Sylvestre et marquer, bien que de façon éphémère le saut dans cette nouvelle année qui verra une dizaine de plus s’accrocher à mon palmarès, j’ai choisi d’assister aux feux d’artifice tirés depuis les bords de la Tamise. Fugaces et éphémères, les feux d’artifice sont un de mes plus simples plaisirs dans la vie. Une joie qui remonte à l’enfance et que je ne suis pas la seule à apprécier. Pas un simple plaisir parmi d’autres, non une vraie joie! Une excitation saine devant un show empli de féérie. Une véritable exaltation des sens devant ce spectacle son et lumière bien loin des feux de mon enfance du 14 juillet dans le village de ma grand-mère où je passais mes vacances. L’explosion de prouesses techniques des dernières décennies n’ont pas pour autant accrues ma joie d’assister à ce spectacle très attendu qui réunissait alors tout le village et ses alentours, hommes, femmes, enfants de tous âges, de toutes conditions, de toutes orientations politiques, religieuses ou sociales. Un vrai rassemblement démocratique, une fête humaine tout simplement. J’en prenais plein les yeux et le cœur à un âge ou ces choses-là sont naturelles et non réfléchies, ou l’innocence le permet.
Aujourd’hui encore les feux d’artifice restent un plaisir gratuit (en général), immatériel et loin des préoccupations quotidiennes de profit. Une belle leçon de vie ou comment apprécier le présent et rien que le présent. Un cadeau rare de nos jours qu’il faut savoir saisir.
Suspendu entre 2016 et 2017 je me suis émerveillée devant ce double spectacle qui voyait des dizaines d’expositions rouges ou dorées allumer le ciel d’hiver et se refléter dans le fleuve. L’ambiance était festive et bienveillante, l’atmosphère de Londres y contribuait beaucoup. Des couples dansaient dans une euphorie alcoolisée bon enfant, et le corps de police lui-même plaisantait avec simplicité avec la population.
Une fois le show terminé la foule regagnait les sorties de façon disciplinée là encore, jusqu’aux stations de métro ou de bus qui fonctionnaient pour l’occasion.
Et c’est en remontant très lentement la rue très encombrée d’Oxford Street et n’ayant pour horizon que la nuque de mon grand voisin de devant, que j’ai par reflexe commencé à regarder mes pieds avec la préoccupation de ne pas lui marcher sur les talons. Là, mes pensées ont commencé à s’envoler comme à mon habitude. En regardant ce bitume insignifiant, au fur et à mesure que la foule se dispersait et que ma vision de la rue s’élargissait j’y ai constaté que la rue était jonchée de déchets. Cette population si joyeusement tranquille avait laissé son empreinte avec beaucoup d’insouciance et quelque peu de nonchalance.
C’est alors que l’image des hommes de l’ombre m’est apparue, alors que la fête décline et qu’ils ne sont pas encore entrés en action. Le 1er janvier à Londres est un jour presque comme un autre où les magasins et commerçants, restaurants sont ouverts. Entre les premières heures de 2017 et le retour à l’agitation quotidienne de la capitale, ces hommes devraient donc entrer en action. Mais où étaient-ils à cette heure exactement ? Avaient-ils célébré le nouvel an ou étaient-ils profondément endormis en prévision de leur lourde journée de travail?
J’ai toujours eu un profond respect et de l’admiration pour ces hommes qui entre le crépuscule et l’aurore entrent en action et en quelques heures changent le visage d’une ville et effacent les vestiges de la veille. On ne les voit jamais et pourtant sans eux, sans leur investissement notre vie et une partie de notre confort, dont nous n’avons pas spontanément conscience, en seraient radicalement changées. Ces hommes de l’ombre ce sont aussi ceux qui avaient durant des mois préparé la fête et les feux, tout réglé, tout sécurisé pour nous donner 12 minutes de joie et d’émotion. Ceux-là même à qui personne ne pensait lors du compte à rebours à 23:59:50, ni même au cœur de l’animation lorsque tous leurs talents se révélaient enfin.
Ces hommes, ces femmes, sont un voisin, un ami, un membre de la famille ou juste un inconnu. Qu’importe qui « Il » est, Il impacte nos vies et Il mérite par son rôle dans la société et notre quotidien de s’arrêter un moment sur lui, sur elle, sur eux. De les mettre en lumière le temps d’un article et de savoir apprécier en toute conscience la sobre efficacité de leur travail, afin de rendre visible au plus grand nombre, le temps d’un cliché – si j’y arrive – toute l’humanité et l’importance de ces Hommes de l’Ombre qui opèrent dévoués à nous autres citoyens, de par le monde. Sachons nous arrêter, et observer chez l’Autre, le détail, le talent, la différence, l’implication, la dévotion et en apprécier toute la profonde singularité de sa participation.
Voir l’Autre, c’est lui porter attention, Tendre l’oreille, Ouvrir les yeux et Fixer le regard en toute conscience, c’est ouvrir son cœur et accepter de recevoir, de voir, de découvrir des choses auxquelles on n’était pas préparé, de revoir son jugement ou mieux de faire exploser tout jugement pour ne garder que l’essence de la rencontre, de la découverte, le pure sentiment d’authenticité. Fragile, discret, fugace, ce moment d’éternité, ce présent inexistant si ce n‘est justement dans les infimes détails en toute chose et en toute personne. Ce moment présent, unique et authentique je l’ai ressenti ce matin de 2017, plongée en toute conscience dans une scène si commune et anodine dans nos grandes villes : une rue jonchée de bouteilles de bières et de cornets de frites a ouvert une nouvelle brèche en moi l’espace d’un court instant, et je me suis sentie privilégiée d’avoir su commencer l’année en rendant visible à mon cœur ce qui était invisible aux yeux.
Bienvenue 2017 !