Les petits vieux…affectueusement!

Les petits vieux…affectueusement!

Assise près du chauffage dans un Café de mon parc préféré de Londres – Regent’s park- je prends mon Américano, comprenez un double expresso allongé de beaucoup-beaucoup d’eau communément consommé outre-Atlantique. De là où je suis j’ai une vue latérale sur tout le café, le bar et la cuisine. Le lieu étant intégralement vitré, il est lumineux et j’ai une vue partielle mais charmante des extérieurs. Nous sommes en hiver, il fait froid dehors, la lumière est pâle et décline vite dans l’après-midi alors je profite de me poser tôt le matin dans ce café à l’atmosphère très décontractée pour écrire cet article. Je ne sais pas encore quelle tournure il va prendre, je connais juste le sujet que je souhaite aborder, un sujet qui nous fait souvent un peu peur il faut l’avouer. – la vieillesse.

En cette saison et à ma place actuelle dans la configuration du café, je me sens quelques points en commun avec cette classe d’âge que j’atteindrais peut être un jour si la chance et la santé m’accompagnent. Comme tout être vieillissant, nos amis les chiens y compris, on aime réchauffer nos muscles et nos os endoloris par le froid, auprès d’une source de chaleur. J’y suis ! De plus c’est aussi le lieu qui a été choisi pour mettre des prises de courant indispensables quand on prévoit de travailler sur un ordinateur portable plusieurs heures. Je stoppe là cette digression qui n’a aucun intérêt pour cet article ! Pour reprendre les points en communs, on aime aussi se réchauffer de l’intérieur, en buvant une boisson chaude – un Américano par exemple – ou en dégustant une soupe réconfortante. Les souvenirs m’accompagnent parfois avec ce dernier rituel. Souvenirs de souper en famille à une époque où j’aimais surtout le poulet-frites mais surement pas la soupe aux 7 légumes, de mamie puis de sa fille, soupe moulinée partiellement pour laisser le plaisir de sentir les légumes en morceaux. Je me demandais alors qui pouvait aimer boire et manger en même temps, le tout en un seul plat ? A moins d’être en période de guerre, de disette ou de grande pauvreté, c’est un concept alimentaire que je ne comprends toujours pas ! Mais je fais la fine bouche je le reconnais ! Pour moi une soupe est moulinée et onctueuse, sinon cela s’appelle un écrasé de légumes, je ne plaisante pas sur les termes ! Si mamie m’entendait, elle me tirerait les oreilles ! Enfin non ma grand-mère était plutôt du genre à faire crisser ses longs ongles sur toute surface capable de vous donner ce mal de dents qu’on a tous expérimenté sur le tableau noir de l’école – pour les générations qui connaissent le tableau d’ardoise. Et celles et ceux qui ne connaissent pas, je vous remercierai de ne pas vous manifester, c’est déjà difficile de savoir qu’il en existe – #jenesuispasvieille. Ma grand-mère éclatait de rire en faisant cela car elle n’y était pas sensible, et ses ongles ne craignaient rien ! Dur, dur, dur, elle aurait pu tailler un diamant avec la pointe de ses ongles !

Mais revenons à nos moutons, oui mise en plis oblige ! Je devais la faire !

Il y a 1 semaine donc, j’étais à cette même place à écrire « Les hommes de l’ombre » et la matinée avançant les clients sont venus remplir le café et j’ai pu, de ma tour d’observation, regarder avec attention chacune des tables remplies de clients de tous âges. C’est un de mes passe-temps, et une vraie source d’inspiration pour écrire et de réflexion personnelle de façon générale. Juste en face de ma ligne de mire, une grande table avec 8 chaises où viennent s’installer un groupe de 8 petites dames, hétéroclites, au style bigarré, de 60 à 80 ans je pense. Une de ces dames a immédiatement attirée mon attention car elle était aussi petite qu’un Hobbit. Ne vous méprenez pas je ne suis pas sarcastique comme Donald Trump envers ce journaliste handicapé lors de sa campagne de 2016! Je ne me moque pas de cette dame manifestement handicapée et maintenue par un corset rigide et très volumineux sur tout le buste, qui semblait très contraignant même si rien ne se lisait sur le visage de cette dame. C’est juste que je venais de terminer la veille au soir la trilogie du Seigneur des Anneaux et mon imagination aime les raccourcis et a fait un lien improbable entre ces 2 personnages. N’y voyez rien de malsain ! Cette dame m’a beaucoup touchée et intriguée car il n’est pas fréquent, de voir sortir au restaurant des personnes handicapés ou limitées dans leur déplacement ; Hors à Londres c’est tout l’inverse les personnes âgées, voire très âgées ou handicapées, suivi d’un accompagnateur privé ou juste en groupe, sortent ! Elles organisent des déjeuners, des goûters. Elles appartiennent à des groupes d’activités artistiques comme la peinture par exemple, mais joignent l’agréable à l’agréable et exercent ces activités dans des lieux adaptés, conviviaux comme un café restaurant dans un des plus beaux parcs de Londres.

J’observais donc ces petites vieilles, car il n’y avait bien que des femmes. Ce qui m’a d’autant plus aidé à me projeter et à imaginer comment je serais, quelles activités ou vie sociale je voudrais à leur âge ou je pourrais avoir, selon la condition physique ou de sénilité qui sera la mienne.

Je suis impressionnée de voir que ces femmes s’organisent entre elles, sont solidaires et malgré la vieillesse et la maladie, elles trouent des solutions, et font preuve de beaucoup de positivisme pour continuer à profiter de la vie là où d’autres auraient abandonné l’idée d’avoir encore des plaisirs simples. Ces femmes donc s’étaient réunies et partageaient thés, cafés au lait, biscuits secs ou au chocolat rapportés du supermarché du coin ou biscuits maison bien conditionnés dans des boîtes… Si si, vous avez deviné… Des boîtes Tupperware. Celles qui font un beau clap à l’ouverture car on y enlève une partie de l’air au moment de la fermeture. Ces boîte qui semblent avoir accompagné toutes les générations depuis la nuit des temps, mais n’existe en réalité que depuis 1946. Une valeur sûre qu’on aurait pu croire d’origine allemande, si les américains ne les avaient pas inventés avant. Merci Wikipédia!

Je disais donc que je ne pouvais décrocher mon regard, comme mon sourire discret et mon regard bienveillant sur ces dames qui représentaient vraiment ce que c’est de vivre. Vivre le présent, laisser ses soucis ou ses maux de côté et profiter de la présence d’autres êtres humains, ni meilleurs ni pires que soi-même. J’ai alors pensé au film du cercle des poètes disparus, à ces jeunes êtres au début de leur vie et au propos du professeur Keating qui citait… Ces petites vieilles suçaient la moelle de la vie !

Elles étaient entre elles, dans leur condition, ne se préoccupant ni des apparences, ni de leur âges, ne se souciant pas de savoir s’il était convenable de manger dans un café la nourriture rapportée de l’extérieur (car oui, en France, c’est plutôt mal perçu, voir refusé par les cafetiers et encore plus restaurateurs). Imaginer plutôt la scène : arriver au restaurant, prendre une table de 8, commander juste l’entrée, et apporter son plat de résistance dans sa boîte… Tupperware bien sûr !

Je les ai vu s’échanger de petits présents, peut-être pour fêter à leur façon la nouvelle année toute récente ou juste pour ajouter un peu de cérémonie à ce déjeuner. Leurs visages rayonnaient, elles passaient manifestement un bon moment et cela faisait plaisir à observer. J’ai ainsi passé de longues minutes à les regarder. Je me suis demandée si elles avaient de la famille, si leurs familles se préoccupaient d’elles et prenaient soin de ces êtres redevenus plus fragiles avec le temps. Ou bien se suffisaient elles à elles-mêmes avec leur club, leurs rendez-vous mensuels, leurs déjeuners du mercredi au parc… J’ai aussi pensé à notre responsabilité dans la prise en charge de nos personnes âgées, de nos proches vieillissants et comment nous les accompagnons dans cette étape de leur vie. Je ne juge pas les décisions de chacun car chaque situation de vie est différente, je regrette néanmoins que parfois ce soit la solution la plus facile et la plus pratique qui soit choisie par les proches, sans au préalable chercher avec énergie et détermination une solution plus humaine pour garder auprès de leur famille nos papis et mamies.  Je ne sais pas ce qui m’attends si j’atteins 70-80-90 ans mais j’aimerais penser que quelqu’un se préoccupera suffisamment de moi pour essayer de faire des dernières années de ma présence sur cette terre, des instants de bonheur, de sérénité et de partage, que ce soit en famille ou entre amis. Et que l’une des nombreuses solutions plus facile ne sera envisagée qu’en tout dernier recours. J’aime m’obliger à mettre mes pieds dans les bottes des autres comme on dit en anglais afin de voir les choses sous un autre angle. Cela ouvre d’autres perspectives toujours utiles.

En regardant ces femmes qui avaient dues avoir des vies très différentes peut-être, voire surprenantes mais que je ne saurais jamais, ce n’est pas de la pitié ou de la compassion que je ressentais, c’était de la bienveillance et de la gratitude, d’avoir encore eu cette opportunité d’assister si ce n’est de partager cette tranche de vie dans le quotidien de ceux que j’aime appeler nos petits vieux… Affectueusement.

Illustration Jean-luc Boiré (tous droits réservés)

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